« Levée des masques » ?

K. Paul Johnson et la Théosophie

 
Il est remarquable, et c’est là notre raison fondamentale de refuser les hypothèses de Paul Johnson, que ce dernier puisse délibérément ignorer tout au long de ses livres les multiples témoignages qui ruinent ses conjectures. Ce sont nommément ceux du colonel Henry Steel Olcott, de la Comtesse Constance Wachtmeister, de Bertram Keightley et de son neveu, le Dr Archibald Keightley, de Wilhelm Hübbe-Schleiden, de Franz Gebbhard et des disciples hindous.
Rideau théosophique
La question de la véritable identité des Mahatmas reste aussi ouverte qu’inaccessible, en l’état actuel de la documentation …
Jamais il ne prend la peine de citer ces témoignages, ne serait-ce que pour les contredire, ainsi que l’aurait exigé la recherche historique intègre à laquelle prétend s’identifier sa démarche. Cette carence est, en effet, capitale à son argumentation car ce ne sont pas sur quelques points de détails que tous les témoignages manquants des proches d’H.P.B. contredisent ses hypothèses mais sur la quasi totalité des éléments qui lui permettent de fonder son identification des Maîtres. Paul Johnson dit en p. 118 « le masque derrière lequel elle [H.P.B.] voila les véritables Maîtres »... Nous affirmons pour notre part, qu’H.P.B. n’a pas créé ces « masques » mais qu’elle a utilisé ceux par lesquels les Maîtres eux-mêmes voulaient se voiler. En cela, elle ne fit que suivre leurs instructions comme l’attestent les Lettres des Mahatmas. Ces « masques » sont enfin levés, pense-t-il, car « ce siècle touchant à sa fin, il est enfin possible de démasquer les Maîtres et de révéler la véritable H.P. Blavatsky, leur agent et secrétaire copiste (« amanuensis » dans le texte original) » (op. cit. p.118). Ce sera peut-être une déception pour le public réellement intéressé à ce problème de savoir que la question de la véritable identité des Mahatmas reste donc toujours entièrement ouverte, quelles que soient les accointances que ceux-ci aient pu entretenir avec des mouvements politiques et religieux de cette époque. Pour nous, la thèse de Paul Johnson est en fait très claire : le crédit apporté aux Instructeurs de la Théosophie est une vaste farce et son contenu philosophique, quoique fascinant, est un modèle de mystification littéraire, inspirée par le génie particulier d’H.P.B. — C’est un point de vue subjectif tout-à-fait légitime ; ce qui l’est moins est de prétendre l’avoir démontré avec une objectivité historique ! Pour mettre un point d’orgue à cette conclusion, abandonnons-nous à l’émotion que ne peut manquer de susciter la déclaration d’intention de Paul Johnson : « Lire ce livre [le sien], si toutefois il parvient à atteindre son but, c’est acquérir un profond respect pour le mystère sans fin d’H.P.B., de la Théosophie et de ses Maîtres » (op. cit., p. 120). !….

Et cela, sans rire !

Il semblerait, au contraire, que pour toute femme ou tout homme à l’intelligence claire et à l’éthique saine, le dégoût envers le personnage d’H.P.B. ne pourrait être que total, si — par une démonstration d’un autre acabit — ce « mystère sans fin » qui enrobe celle-ci revêtit bien le caractère pernicieux que révèle — sans s’en rendre compte, alors ? — Paul Johnson. En se fiant au discours de ce dernier, la Fondatrice de la Société Théosophique aurait alors véritablement et définitivement gagné d’être présentée comme « l’un des plus accomplis, des plus ingénieux et des plus intéressants imposteurs de l’histoire »… selon les termes employés par le Rapport Hodgson de 1885. Nous faisons entièrement nôtre la conclusion de J. Algeo[1] : « Il y a de l’histoire dans ce livre : l’information détaillée sur les mouvements qui entourent Blavatsky. Mais la thèse du livre n’est pas de l’histoire. C’est une reconstitution imaginaire du passé, sur la base d’un assemblage de faits qui n’ont aucune connexion démontrée entre eux. C’est comme une image découpée composée par les pièces d’une demi-douzaine de puzzles différents qui font un merveilleux ensemble, même s’ils ne s’assemblent pas » (T.H.V, N° 7, p. 246).
Ne seront convaincus par la thèse de M. Johnson que ceux qui veulent l’être et n’ont besoin pour cela d’aucune raison, puisque, selon le mot très juste de M. Algeo, « une logique d’Alice au pays des merveilles » leur suffit…

À nos yeux, la question de la véritable identité des Mahatmas reste aussi ouverte qu’inaccessible, en l’état actuel de la documentation. Les personnages identifiés par Paul Johnson ont pu entretenir directement ou indirectement avec H.P.B. ou ses proches des accointances de condisciples ou de compagnons de lutte, mais aucun n’apparaît comme l’un de ses Instructeurs ou « Maîtres »(6), tout au moins d’après les « démonstrations » qui précèdent.

Quant au lecteur qui n’a pas le loisir de s’adonner à l’étude des multiples textes jonchant le chemin de la création de la Société Théosophique, il finit par retenir des propos de Paul Johnson relatifs aux Maîtres, non pas l’identification elle-même (puisqu’elle fluctue) mais « une » identification. Confiant en l’auteur, eu égard au sérieux de la documentation présentée, le lecteur aura « le sentiment » que Paul Johnson « a levé des lièvres » ; comment ? et lesquels ? Il aura du mal a le dire exactement mais persistera toujours dans son esprit ce vénéneux parfum du doute envers l’authenticité des Fondements de la Théosophie. En cela, Paul Johnson aura atteint un but que peut-être il ne souhaitait pas.  

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[1] Un des meilleurs spécialistes de Mme Blavatsky, John Algeo, fit une critique (Algeo John, Review Essay, K. Paul Johnson’s The Masters Revealed, T.H., V, N°7, pp. 232-247) de ce second ouvrage lors de laquelle il développe des arguments fondamentaux qui battent en brèche les conclusions de P. Johnson, tant au plan de la méthode que celui de la documentation que cet auteur déploie.