Définition de cette Authenticité

  La Doctrine Secrète » (« The Secret Doctrine », deux tomes en un volume, paru à Londres en 1888), œuvre majeure d’H.P. Blavatsky, est présentée par son auteur comme la révélation d’une Doctrine Occulte que ses Instructeurs, notamment les Mahatmas Morya et Koot-Homi, attachent (dans les Lettres des Mahatmas à A. P. Sinnett) à « l’École Arhat Transhimalayenne ». On a longtemps prétendu que les Enseignements que Mme Blavatsky avait reçus du Bouddhisme étaient de seconde main, que ceux-ci — d’après l’exposé qu’elle en faisait — différaient à tel point des enseignements exotériques connus, que l’assimilation qu’elle en eut ou l’authenticité de ses Sources étaient à mettre radicalement en cause. En fait, nul ne s’opposera, avant sa mort, aux prétendues compétences de ses détracteurs, sinon les quelques amis qui l’ont côtoyée assez longtemps pour être définitivement convaincus de l’authenticité de sa forma­tion aux côtés de ces fameux Adeptes auxquels elle se référait sans cesse. Aujourd’hui, on en reste encore — en France du moins — le plus souvent à la sanction des soi-disant « spécialistes occidentaux du Bouddhisme et de l’Hindouisme », tels ses contemporains Arthur Lillie, et Coleman, ceux-ci considérant « La Voix du Silence » — un petit chef d’œuvre de Mme Blavatsky — comme un salmigondis de textes empruntés à l’Inde védique plutôt qu’à la littérature tibétaine. René Guénon fit école en reprenant ces arguments. Il n’eut pas de mots assez durs pour dénoncer en Mme Blavatsky un imposteur, ce que proclamèrent en écho Papus et nombre d’occultistes occidentaux du début de siècle, lesquels, sans l’avouer ouvertement, n’acceptaient pas qu’une femme pût intervenir d’une manière quelconque et avec autorité dans le débats multiséculaire sur des Sciences Occultes, craignant, de plus, pour la crédibilité qui fondait leur propre « carrière »… En réalité, deux facteurs amènent le discrédit dont reste entouré le personnage de Mme Blavatsky et deux autres frappent directement son œuvre : a) — le discrédit quant à sa personne tient aux faits que :
  1. femme, elle venait s’immiscer dans un discours resté une exclusivité masculine depuis la nuit des temps ;
  2. dotés de facultés psychiques incontestables, elle bouleversait sur son passage toutes les idées reçues relatives aux lois « naturelles » par l’accomplissement de « phénomènes » surprenants et inexplicables en l’état des connaissances du monde.
b) — le discrédit quant à son œuvre  tient :
  1. au déni de sa compétence en matière de Doctrines orientales ;
  2. à la négation de l’authenticité des Sources de son Initiation.
Ce dénigrement, toutefois, relève d’un état des questions datant du siècle dernier. Cent ans plus tard, aujourd’hui, donc,  l’authenticité de la démarche pionnière d’Helena Blavatsky s’est trouvée cautionnée par des autorités dont la crédibilité scientifique dépasse largement celle de quelques détracteurs qui firent beaucoup de bruit  à son époque. C’est ce que nous allons aborder en posant des questions dont la réponse confortera la vérité des affirmations de Madame Blavatsky : Le fonds de cet Enseignement réside-t-il dans les documents très anciens et ignorés de la majeure partie des Occultistes orientaux et a fortiori Occidentaux ? (Ancienneté et caractère secret des documents fondant la Doctrine Secrète)

H.P. Blavatsky et l’accès au Tibet

 

En 1856, voyageant en Inde, Helena Blavatsky tenta d’aller au Tibet ; en vain ; l’entreprise échoua.

En 1864 elle parvint à pénétrer pour la première fois au Tibet. Le volet oriental de son Initiation va dès lors prédominer pour un temps ; cette étude durera trois ans (1864-1867) mais on ne possède pas de détails sur ce cycle de par sa propre volonté. Tout au plus donne-t-elle quelques indications sur les principes de la formation magique qu’elle suit aux côtés de son Maître, le Mahatma Morya, qu’elle présente comme d’origine Radjpoute qui réside, tout comme son autre Instructeur — le Mahatma Kout Houmi — principalement à Shigatsé, au Tibet, à proximité de Tashi-lhunpo, à près de 250 kilomètre de Lhassa[1]. Elle précisa à ce propos :
«  J’ai vécu à différents moments dans le Petit et le Grand Tibet [Sikkhim]… et ces périodes combinées forment plus de sept ans. Cependant, je n’ai jamais affirmé ni verbalement ni sous ma signature que j’avais passé sept années consécutives dans un couvent. Ce que j’ai dit et répète maintenant est que j’ai visité Shigatsé, le territoire de Tdashoo-Hlum-po [Tashi-lhunpo] et ses environs, que j’ai été plus loin à l’intérieur et dans des lieux du Tibet tels qu’ils n’ont jamais été visités par des Européens. »[2]
Le Tibet, le Népal ou le Sikkim, lui offrent l’opportunité d’étudier sérieusement les Sciences Occultes dont celle du légendaire « Meipo. Elle visite donc pendant ce séjour bien des lieux où elle peut s’initier à ce qui sera la Source fondamentale de ses écrits ultérieurs. Quelque cinquante ans avant Alexandra David Neel, Mme Blavatsky présente ainsi cet univers tibétain  :
« L’étude théorique de la Magie est une chose; la possibilité de la pratiquer en est une autre. A Brass-ss-Pungs, le collège mongol, plus de trois cent magiciens (sorciers, comme les appellent les missionnaires français) enseignent à plus du double d’élèves entre seize et vingt ans; ceux-ci doivent attendre plusieurs années avant de passer l’initiation finale. Pas un pour cent n’atteint le but final; et sur les milliers de lamas qui occupent une ville de maisonnettes autour du monastère, deux pour cent tout au plus, deviennent des faiseurs de merveilles. On peut apprendre par coeur chaque ligne des 108 volumes du Kandjur, et néanmoins faire un piètre magicien pratique ». « Le kandjur est le Grand Canon bouddhiste qui comprend 1.083 ouvrages en plusieurs centaines de volumes, dont beaucoup traitent de la Magie »[3].
A propos du cadre de sa formation, elle-même précise :
«  Je n’ai jamais non plus reçu d’instruction « sous le toit » des moines.… J’aurais pu vivre dans une Lamaserie masculine, comme le font des milliers de laïcs, hommes et femmes ; et j’aurais pu avoir reçu là mon instruction. N’importe qui peut aller à Darjeeling et recevoir à quelques milles de là, des enseignements des moines Tibétains et cela « sous leur toit » . Mais je n’ai jamais rien prétendu de tel, et cela pour la simple raison qu’aucun des Mahatmas dont les noms sont connus en Occident  ne sont des moines… »
Madame Blavatsky, affirma donc, au regard de ces longues études himalayennes, faire état dans ses écrits, d’une Tradition située en amont de tous ces courants spirituels et maintenue intacte au Tibet par une École particulière d’Arhats, refuge où cette Sagesse, « la Gupta Vidya », parvint après avoir été générée aux temps prévédiques dans l’antique Aryavarta. C’est en cette Source que l’auteur de « La Doctrine Secrète » tentait de rechercher l’unité de la Tradition Ésotérique première, une prisca sapientia identifiable au cœur de toutes les Religions.
Des appréciations émanant de personnalités reconnues dans le domaine de l’Ésotérisme et de la Science nous sont parvenues au sujet de l’œuvre d’H.P. Blavatsky :
  • Le Mahatma Gandhi : « La Théosophie… c’est l’Hindouisme dans ce qu’il a de meilleur ».
  • Le Dr. W. Y. Evans-Wentz, traducteur du Bardo Thödol (le « Livre des Morts » tibétain) : « En regard de la signification ésotérique des quarante-neuf jours du Bardo, comparer : « La Doctrine Secrète », de H.P. Blavatsky, Londres, 1888, p. 238, 411, 617, 627-28. Le Lama Kasi Dawa Samdup considérait, en dépit des critiques dirigées contre ses ouvrages, que H. P. Blavatsky devait incontestablement avoir reçu un enseignement lamaïque élevé, ainsi qu’elle le prétendait ».
  • D. T. Suzuki (dont les œuvres font autorité sur le Bouddhisme Zen) : « La Voix du Silence »[4] est la véritable Doctrine Mahayana. Il ne fait aucun doute que Mme Blavatsky a été initiée, d’une manière ou d’une autre, à l’aspect le plus profond des enseignements du Mahâyâna et qu’elle a ensuite révélé ce qu’elle a jugé sage de donner au monde occidental sous le nom de Théosophie… Il est certain que le mouvement théosophique a fait connaître au grand public les Doctrines essentielles du Bouddhisme Mâhayâna et l’intérêt qui se développe maintenant pour celui-ci en Occident a certainement été soutenu par la connaissance de la Théosophie… »[5]
  • Le IXe Panchèn Lama lui-même (Lobsang Tub-Ten Cho-gyi Nyima — seconde autorité religieuse du Tibet après le Dalaï Lama, dans son exil chinois de 1927) se prononçait de manière identique sur le texte de « La Voix du Silence », réédité cette année-là, en Chine. Cette édition recevra de lui quelques mots de dédicace hautement significatifs du crédit qu’il portait à l’œuvre, après qu’il eût insisté pour disposer de la version originale du texte d’H.P. Blavatsky auprès de deux Théosophes qui lui rendaient visite (les amendements apportés par les Éditions Adyar dans les rééditions plus récentes n’ayant pas son agrément)[6]. Madame Blavatsky affirmait avoir reçu ses Enseignements occultes d’Adeptes, notamment de son Maître, le Mahatma Morya, résidant souvent à Shigatsé au Tibet et du Mahatma Kout Houmi, un Adepte cachemirien de naissance et résidant par intermittence au Tibet près du célèbre monastère de Tashi-Lhunpo. Or, ce dernier est le siège de l’Institution du Panchèn Lama, seconde autorité religieuse du Tibet mais considérée comme « première » pour la Tradition réformée.
 

En conséquence, les liens des Instructeurs de Mme Blavatsky avec cette citadelle du Bouddhisme Mahayana sont évidents et prouvent l’accès de H.P.B. à une Tradition Ésotérique totalement marginale, — en amont —  tant par rapport au Lamaïsme qu’au Brahmanisme.

 

[1] Dans une lettre datée du 2 octobre 1881, H.P.B. écrit à Miss Billings « Maintenant, Morya vit généralement avec Kout Houmi dont la maison est située vers le montagnes de Kara Korum en dessous du Ladakh qui se trouve dans le Petit Tibet et qui appartient maintenant au Cachemire. C’est une vaste batisse de bois, construite comme une pagode chinoise…. ». Cette lettre laisse entendre, qu’auparavant, avant 1881, dans les années 1861-1867, le Maître résidait ailleurs. Cette résidence de 1881 au Ladakh ne semble pas fixe, car d’une part des deux Maîtres voyagent et, d’autres part, ils paraissent faire de fréquents et longs séjours à Lhassa ou à Shigatsé (Tibet) ainsi que les « Lettres des Mahatmas » le laissent paraître. [2] (Loc. cit. in P. M., p. 136). Ces propos sont extraits de réponses d’H. P. B. le 3 Août 1883, à un pamphlet de Mr. Arthur Lillie ( auteur de Bouddha and Early Bouddhisme) , paru dans la revue spiritualiste Light., Londres,, vol. IV, n° 188, 9 Août 1884, pp. 323-324.) [3] Note d’H.P.B.dans « Isis dévoilée », t. IV, p. 296). [4] Œuvre de H.P. Blavatsky – Ed. Adyar (En fait, présentation de quelques vers extraits d’un ouvrage secret auquel elle accéda). [5] Eastern Buddhist, (Old series) V, p. 376. [6] (Fuller Jean Overton, Blavatsky and her Teachers, East-West Publications, London & The Hague, 1988, p. 231 et suiv.Les deux théosophes qui furent ainsi chaleureusement accueillis par le Panchèn Lama étaient Mrs Leighton Cleather et Basile Crump).

H.P. Blavatsky et les Adeptes :
La Hiérarchie des Maîtres

Les Adeptes auxquels se référait sans cesse Madame Blavatsky laissèrent d’eux un portrait peint par Hermann Schmiechen en juin 1884 avec l’aide subtile, à ce que dit le Colonel Olcott, du Maître Morya lui-même qui, invisible pour l’assistance, se tint derrière l’artiste en vue de l’inspirer.

Lorsque Madame Blavatsky vit ces portraits, elle en acclama la ressemblance et la tonalité générale de grandeur qui s’en dégageait et qu’elle reconnaissait.

Laissés à la visite de tous, dans le Hall d’Adyar à Madras, ces portraits furent ôtés de tout regard du public à la demande du Colonel Olcott qui, tout en voulant protéger le caractère sacré de ces Images, ne souhaitait pas que la vénération qu’ils engendraient devînt un culte frisant l’idolâtrie.

Ces portraits révèlent des personnalités marquantes, certes, portant barbe et cheveux longs à l’instar, serait-on tenté de comparer, des Mages Naldjorpas tels qu’en les rencontra, cinquante ans plus tard au Tibet, A. David Néel. Le Mahatma Morya porte le fekkar radjpoute sur la tête, blanc cassé sur la toile peinte ; il était aussi souvent de couleur avec des rayures… C’est ce que le raconte le Colonel Olcott qui eut la stupeur de voir, un soir très tard, alors qu’il veillait dans son appartement new-yorkais, apparaître de manière tangible et indiscutable, le Maître, de toute sa hauteur, vêtu de blanc et portant un fekkar rayé ; le Maître lui laissa, de façon très concrète, cette coiffe en gage d’intense amitié et le Colonel Olcott la garda toujours et la mis souvent dans les moments pénibles de sa vie pour conjurer les maux que ses contemporains ne manquèrent pas de lui infliger (Henry Steel Olcott, Old Diary Leaves, t.1).

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Comment « classer » les Maîtres ? A quelle catégories de Mystiques-Mages orientaux officiellement reconnus au Tibet appartenaient-ils ? Il est probable que, dépassant toute nécessité de pareille appartenance, les Instructeurs de Madame Blavatsky fussent tout simplement des Adeptes [voir Maîtres de Sagesse] de si haut rang — ayant atteint un degré de développement de la Conscience si élevé — qu’ils bénéficièrent d’une vie parfaitement autonome et hors norme au regard des autres Mystiques proches. Ils pouvaient se déplacer, aller et venir du Japon en Chine comme le fit le Maître Kout Houmi [Cf. Lettres des Mahatmas] ou en Angleterre (rencontre d’H.P.B. avec son Maître à Londres en 1851) et en sillonnant les Indes comme le fit le Maître Morya (décrit sous le nom de Gulab Sing dans « Dans les cavernes et jungles de l’Hinsdoustan » d’H.P.B. – Ed. Adyar).

Il est clair, ainsi qu’on va le voir dans d’autres pages, qu’ils collaborèrent avec la Hiérarchie Spirituelle la plus haute du Tibet et ne se soumirent qu’au plus Grand des Adeptes, « le Chohan » pour l’accomplissement d’un travail d’envergure planétaire.

En effet, quoique étrangers à la structure officielle du Lamaïsme, les deux Instructeurs de Madame Blavatsky — le Mahatma Kout Houmi et le Mahatma Morya — s’en référaient constamment, avec une grande déférence, à un Adepte tibétain de haut rang, « le Chohan », comme étant leur Supérieur Hiérarchique. Le titre de « Vénérable Hobilgan »[1] que lui décerne le Mahatma Kout Houmi, semble le désigner comme le « Régent-Instructeur » du Panchèn Lama, Supérieur officiel du monastère de Tashi-lhunpo.

De fait, le voisinage de Shigatsé, au Tibet, place la retraite des Instructeurs de Mme Blavatsky dans l’ombre de la formidable citadelle de Tashi-lhunpo, abri du « Panchèn Lama » – abrégé tibétain du titre sanskrit « Pandita Tsang Po Lama » qui signifie « le Précieux savant en Écritures sacrées de la Province du Tsang Po » .

H.P. Blavatsky précisa :

« Il existe dans l’Himalaya un noyau d’Adeptes de différentes nationalités ; le Tashi Lama (Panchèn] les connaît et ils agissent de concert… Mon Maître [Morya] et K. H. comme plusieurs autres, que je connais personnellement, vont et viennent à cet endroit »[2].

De plus, les deux préfaciers de « La Voix du Silence », reçus par le IXe Panchèn  déclaraient explicitement : « Mme Blavatsky connaissait très bien le prédécesseur de l’actuel Panchèn Lama »[3].

Aujourd’hui, l’Occident connaît mieux le Dalaï Lama — le dignitaire qui occupe la fonction plus politique, quoique religieuse aussi — que le Panchèn Lama. Les péripéties de ce dernier, tout jeune aujourd’hui (1999) et enlevé par les Chinois a fait couler beaucoup d’encre… Toutefois, certains Bouddhistes tibétains considèrent le Panchèn comme le chef spirituel du « Bouddhisme Réformé », assumant la légitimité de la succession de Tsong-ka-pa (XIVe siècle), reconnaissant au Dalaï Lama un rôle plus « extérieur », plus exotérique .

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[1] Voir à ce sujet la recherche de Mrs. Jean Overton Fuller, op. cit infra p. 106
[2] Propos de H.P.B. dans la préface de l’édition chinoise de « la Voix du Silence »-1927.
[3] Chrismas Humphrey Papers, Theosophical Library, Londres.

Arrière fond de Lamaïsme Ésotérique dans la Doctrine Secrète

  Le Bouddhisme Ésotérique recèle des Trésors relatifs à la Connaissance de l’Univers et de l’Homme, celle-là même que les Annales Planétaires la préservèrent en Orient.
Bouddha
Le Bouddha Gautama, à l’instar d’autres Grands Adeptes après Lui, enrichit cette Connaissance de données « pratiques » permettant d’atteindre la délivrance de chaque être humain de ce cycle de matière, empli de souffrances, dans lequel il s’enlise depuis des millénaires. A ce sujet, le Dr. Evans-Wentz, traducteur du Bardö Thodöl, précise : «  Le Bouddhisme ésotérique, ainsi qu’on l’a appelé à tort ou à raison, semble avoir été transmis « de bouche à oreille » et suivant les doctrines de ce genre selon une règle orale et établie de Gourou à Shishya (« disciple »). Le Tibet conservait depuis la nuit des temps ces Archives planétaires et c’est donc dans cette Terre des Neiges que le Bouddhisme, dans sa plus pure expression ésotérique trouva refuge lorsqu’il fut chassé de l’Inde. C’est donc le Lamaïsme officiel[1] qui servit de couverture, si cette expression est permise, à la préservation de la Connaissance Sacrée ou Tradition Occulte de la Planète. Ceci explique aussi pourquoi Instructeurs indiens de Mme Blavatsky — le Maître Morya et le Maître Kout Houmi — entretenaient avec la Hiérarchie du Bouddhisme tibétain (plutôt qu’avec la Hiérarchie d’autres Traditions asiatiques)  des relations très proches. Cette Doctrine ou Connaissance Secrète se situe donc en amont à toutes les Traditions philosophiques, notamment celles de l’Orient, ce qui explique que ceux qui n’ont pas eu accès à cette Source, de près ou même de loin, ont cru que H.P.Blavatsly avait altéré sinon mal compris ces Traditions. Ses détracteurs (le Pr. Müller, R. Guenon, Coleman, Lillie, etc.) ne prirent pas garde, en orientalistes véritables ou supposés qu’ils étaient, à deux faits :
  1. L’approche des Doctrines Ésotériques orientales par les Universitaires européens est essentiellement livresque. Aucun d’entre eux ne devrait songer à se prononcer sur des « Sources ésotériques » auxquelles ils n’ont pas accès — et dont ils ignorent parfois l’existence même. A croire R. Guénon, il n’existerait aucun Ésotérisme bouddhiste !… « En effet, la vérité est qu’il n’y eut jamais de Bouddhisme ésotérique authentique ; si l’on veut trouver de l’ésotérisme, ce n’est point là qu’il faut s’adresser…»[2]
  2. Jamais « La Doctrine Secrète » n’a prétendu être du pur « Bouddhisme »  — et tant mieux si elle l’est tout de même. Moins encore se présente-t-elle comme du « Brahmanisme » . Elle se veut un commentaire de sources « antérieures » à l’un et l’autre.
 

[1] Organisation politico-religieuse qu’ont adoptée les Communautés Bouddhistes du Tibet dès le VIIe siècle de notre ère, jusqu’à former une structure théocratique où Deux chefs, l’un temporel et l’autre, religieux, se sont partagé le pouvoir à partir des XV-XVIe siècles, respectivement le Dalaï Lama et le Panchèn Lama. [2] R. Guénon, « Théosophie, histoire d’une pseudo-religion » – p. 105.

Introduction

Madame Blavatsky affirma avoir tenu dans ses mains, afin de s’instruire, des documents très anciens, écrits en une langue étrange et si lointaine dont même les Occultistes orientaux ignoraient, pour la plupart, l’existence : la langue Senzar Elle affirma, de plus, l’existence d’ouvrages très ancien, formant un ensemble appelé le Kiu-Té qui était une véritable mine d’informations sur les Origines du Monde et des Espèces. Du sein de ces livres secrets du Kiu-Té, émerge un autre, encore plus secret et étudié par un « Cercle très intérieur à Tashi Lumpo » au Tibet : le livre appelé Kâlachakra

La langue « Senzar »

  Tout Enseignement provient, dit Mme Blavatsky, du Senzar, la langue sacrée et l’écriture secrète des Textes Esotériques d’une Tradition réfugiée désormais dans les régions transhimalayennes. Cette Tradition conserve l’usage de cette langue qui est la langue-mère des autres langues d’Asie. Mme Blavatsky affirma avoir appris le Senzar auprès de ses Maîtres.

C’est ici que gît un mystère dont l’élucidation peut seule trancher le débat ouvert autour de l’authenticité de son Œuvre : l’existence d’archives et d’un corpus doctrinal rédigé dans une langue inconnue des orientalistes, ce fameux Senzar…

H.P. Blavatsky précisa :
« Le Zen-(d)-zar », prononcé Senzar, est la langue sacerdotale en usage parmi les initiés de l’Inde archaïque. On le trouve maintenant en de multiples inscriptions indéchiffrables ; il est utilisé jusqu’à ce jour et étudié dans les Communautés secrètes des Adeptes orientaux et appelé par eux — selon la localité — Zend-Zar et Brahma ou Deva-Bashya. » (d’après The Theosophist, Juin 1883).
Elle poursuivit en énumérant les Traditions, tant orientales, qu’occidentales (l’Hermétisme Égyptien et la Kabbale Hébraïque), qui dérivent de la Tradition Première, consignée dans le langage symbolique de cette langue « antédiluvienne ». Les archives rédigées dans cette hiéroglyphique sont sous la garde des seuls Adeptes de la Fraternité Occulte centrée au Tibet et en quelques points du globe, dont l’Égypte, qui gardent ce langage secret ainsi que les Textes eux-mêmes. Elle parla dans les termes suivants d’un « Catéchisme ésotérique Senzar » dont elle étudia le contenu dans le cadre de son premier voyage au Tibet :
«  Le langage sacerdotal (Senzar), à côté d’un alphabet propre, peut être restitué par plusieurs types de caractères chiffrés qui participent davantage de la nature des idéogrammes que des caractères syllabiques. … Le Senzar et le Sanskrit, ainsi que les autres langues occultes, à côté d’autres possibilités, ont un nombre et une couleur, et une syllabe distincte pour chaque lettre, tout comme l’ancien Hébreu  »[1]
Mme Blavatsky commente les propos du moine Capucin Della Penna qui se rendit au Tibet au XVIIIe siècle :
« Laissez-moi vous dire que les moines et les laïcs occidentaux donnent une vue des plus ridiculement absurdes de la Loi de la Foi, les croyances populaires du Tibet. Le Capucin Della Penna, dans sa description de la fraternité des “Byang-Tsiub” est tout simplement absurde. Prenant dans le Bkah-hggyur [“bKa’-‘gyur”, ou “Kanjur”, la Parole du Bouddha], et dans d’autres livres des lois tibétaines quelques descriptions littérales, il les embellit de sa propre interprétation. […] En premier lieu, le canon sacré des tibétains, le Bkah-hgyur et le Bstan-hgyur [ou bsTan-’gyur, le “Tanjour”, le commentaire de la Parole] comprend mille sept cent sept ouvrages distincts, soit mille quatre-vingt-trois ouvrages publics, et six-cent vingt-quatre volumes secrets, le premier étant composé de trois cent cinquante, et le second de soixante-dix-sept in-folio.  … Si, même par hasard, le public pouvait les voir, je puis assurer aux théosophes que le contenu de ces volumes ne serait jamais compris par celui qui n’a pas reçu la clef de leur caractère particulier et de leur signification cachée… Dans notre système, toute description de lieux est symbolisme ; chaque nom et chaque mot sont voilés à dessein ; et, un étudiant, avant de recevoir de nouvelles instructions, doit étudier la méthode permettant de déchiffrer, puis de comprendre et d’apprendre les termes ou synonymes secrets, équivalents presque à chaque mot de notre langue religieuse. Le système hiératique égyptien est un jeu d’enfant, comparé au déchiffrement de nos énigmes sacrées. Même dans les volumes auxquels les masses ont accès, chaque phrase a un double sens, l’un destiné aux profanes, l’autre à ceux qui ont reçu la clef des documents » (H. P. Blavatsky, Enseignements tibétains, Les Cahiers théosophiques, n° 105, pp. 3-4).
Le vocable de « hiératique » évoque le modèle cursif de l’écriture hiéroglyphique égyptienne et définit par conséquent une écriture idéographique, susceptible d’une interprétation symbolique. Certes, le « Senzar », en tant que véhicule linguistique, reste totalement inconnu aussi bien des orientalistes d’aujourd’hui que de ceux du siècle dernier … C’est aussi le cas du Livre de Dzyan, ce premier livre des commentaires du non moins énigmatique Kiu-Té, auquel se référait Madame Blavatsky. Accusée de mensonge… a-t-elle pu voir que ce serait seulement en  1981, un siècle après, que le Kiu-Té sera découvert et reconnu comme tel par le célèbre tibétologue D. Reigle.
 

[1] «  Doctrine Secrète ». t. I, p. LXXI. – Le livre de Kiu ti, est le livre de référence pour l’essentiel de la doctrine enseignée au Tibet à Mme Blavatsky par ses Instructeurs – (cf. Index des Lettres des Mahatmas).

Les livres secrets appelés « Kiu-Té »

Le premier volume d’ « Isis Dévoilée » commence par une allusion à « un vieux livre, si vieux que nos antiquaires modernes pourraient indéfiniment méditer sur ses pages, sans pouvoir se mettre d’accord au sujet de la nature de ce tissu sur quoi il est écrit. C’est la seule copie originale existant actuellement… » […] « Ce très vieux livre est l’œuvre originale d’après laquelle furent compilés les nombreux volumes de Kiu-Té… ».

Rouleau Tibétain

Exemple de manuscrits tibétains sous forme de pothi et de rouleau.
Le Kiu-Té, bien antérieur, a-t-il cette apparence ?
Photographie de Stein en 1907

Ce livre, le Kiu-Té, était aussi celui auquel faisait fréquemment référence le Maître Kout Houmi.

S’agissant de l’existence de cet ouvrage, Madame Blavatsky se référa dans « La Doctrine Secrète », à un ouvrage intitulé « Narratives of the Mission of George Bogle to Tibet, and of the Journeys of Thomas Manning to Lhasa » (édité en 1876-1879) et écrit par C. R. Markham. C’est dans ce livre que figure un appendice contenant la traduction de « Breve notizia del regno del Thibet » (« Une brève description du Royaume du Tibet ») écrite en 1730 par le moine capucin Horatio Della Penna  « p. 309 et suivantes » comme indiqué par H.P. Blavatsky elle-même.[1]

Or le « Livre de Kiu-Té » était bien mentionné sous ce nom peu usité dans l’ouvrage du missionnaire Della Penna, daté de 1730, (lequel, en bon missionnaire catholique, ne cite celui-ci que pour le tourner en dérision). Le Père Della Penna di Billi, dit :« Ce Shakia Thupba [Bouddha] restaura les Lois qui, selon eux, étaient tombées en désuétude, et qui consistent maintenant […] en 106 volumes, dans lesquels les disciples de Shakia Thupba consignèrent tout le contenu de ces livres après la mort de leur maître, tel qu’il l’avaient entendu de sa bouche… ces volumes se divisent en deux sortes de lois, l’un des deux comportes 60 livres qui sont appelés les lois de Dote et l’autre, qui consiste en 38 volumes, est appelé Kiute ». Mais personne ne prit la peine de vérifier cette référence d’H.P. Blavatsky, ce qui en dit long sur l’a priori négatif que ses contemporains destinaient à ses écrits…

On a crié à l’imposture face aux allégations d’existence de cette langue et de ce livre car les orientalistes ne semblaient connaître d’ouvrages de ce nom !

Mais il est possible d’apporter aujourd’hui une réponse à cette négation.

En effet, depuis l’invasion du Tibet par la Chine et le pillage de ses trésors littéraires par les troupes de Mao Ze Dong, le transfert de nombre de manuscrits du Canon bouddhiste a permis une nouvelle approche de leur étude de la part du tibétologue David Reigle, sous le titre : « The Books of Kiu-Te or the Tibetan Buddhists Tantras. A Preliminary Analysis » (Wizards Bookshelf, San Diego, 1983).

Or, c’est précisément ce « vieux livre », appelé « Kiu-Té », découvert et dénommé ainsi, en 1983,  par le tibétologue, qui est la référence de Mme Blavatsky, référence encore niée, seize ans après cette découverte (1983-1999), par les détracteurs de cette dernière !

Comme l’écrit le tibétologue David Reigle : « Il est maintenant facile de voir que les deux divisions, le Dote et le Kiute, sont le Mdo-sde et le Rgyud-sde respectivement ; ou les divisions (sde) des Sutra (mDo) et du Tantra (rGyud) de la parole du Bouddha, le Kanjur »[2]

Il s’agit donc des Textes tantriques — c’est-à-dire magiques et de nature « yogique » — qui constituent donc le rGyud-sde (Kiu-te) au sein du premier élément du Canon Bouddhiste formé par le Kandjour.

H.P. Blavatsky donna des précision que l’origine de ce livre Kiu-Té qui est, en fait, un ensemble, comprenant, entre autres, « Le Livre de Dzyan ». Elle dit :

« Le Livre de Dzyan » — du mot sanscrit « Dhyan »
(méditation mystique) — est le premier volume des Commentaires des sept volumes sacrés de Kiu-té (qui sont joints ensemble) et un glossaire des ouvrages publics du même nom. On peut trouver en la possession des Gelugpa […] Lamas du Tibet, dans la bibliothèque de tout monastère, trente-cinq volumes de Kiou-té, écrits dans des buts exotériques, à l’usage des laïques, et aussi quatorze volumes de commentaires et d’annotations sur ces ouvrages, et qui sont l’oeuvre des traducteurs initiés. […] »

« D’autre part, les quatorze volumes des Commentaires — avec leurs traductions, leurs annotations et un considérable glossaire de termes occultes, tirés d’un petit volume archaïque, le Livre de la Sagesse du Monde — contiennent un digest de toutes les Sciences Occultes. Il paraît qu’ils sont tenus cachés, sous la garde du Téshou Lama [Panchèn Lama] de Tji-Gad-jé [Shigatsé]. Les livres de Kiu-té sont comparativement modernes, car ils ont été publiés dans les dix derniers siècles, tandis que les premiers volumes des Commentaires sont d’une incroyable antiquité, quelques fragments des cylindres originaux ayant pu être conservés. »[3]

Ces indications forment un ensemble quelque peu complexe…

Résumons :

« Kiu-Té » dénomme un ensemble de livres qui comporte :

  • 35 volumes accessibles à tous, de nature, donc, « exotérique » ;
  • 7 livres sacrés et secrets qui produisirent, au cours des siècles, 14 volumes appelés « Commentaires »
  • Le premier de ces 14 Commentaires est « le Livre de Dzyan » qui signifie « état de connaissance » en sanskrit. Ceci signifie qu’il s’agit d’un ouvrage dont le contenu est donné comme le fruit de la vision d’Adeptes ayant atteint un degré de conscience illuminée.
  • « La Doctrine Secrète » est une explication, une divulgation, une sorte de commentaire, de ce Premier Commentaire dit « Livre de Dzyan ».

En conséquence, le lien prévalant entre les Enseignements contenus dans « La Doctrine Secrète » et les « extraits du Tanjour et du Kanjour » eût pu être réellement et pertinemment constaté, à l’époque même de Madame Blavatsky, si un examen avait été mené de bonne foi… Or, c’est ce qui a le plus  fait défaut à ceux qui se sont penché sur ce qu’elle offrait au monde. Car, de fait,  c’est bien dans le Kanjour et le Tanjour que se trouvent, ainsi qu’H.P. Blavatsky l’avait elle-même déclaré, ces Livres de Kiu-Té et leurs Commentaires occultes qui sont, ensemble, la Source de son information.

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[1] (Della Penna di Billi Francesco Orazio, “Breve notizia del regno del Thibet, 1730, republié à Paris dans le Nouveau Journal Asiatique, 1835). [2] Reigle David « The Books of Kiu-Te, or the Tibetan Buddhist Tantras ; a Preliminary Analysis », San Diego (U.S.A.), Wizards Bookshelfs, 1983, p. 2.
[3] « La Doctrine Secrète », t.6, pp. 101-102. Ed. française Adyar.

Le « Kâlachakra »
document secret au sein du Kiu-Té

Lorsqu’en 1959, le Tibet fut pris par les communistes chinois, cent mille réfugiés fuirent le pays, emportant avec eux leurs possessions les plus précieuses. Parmi celles-ci se trouvaient les textes du Kâlachakra, incluant de nombreuses interprétations effectuées au Tibet durant les millénaires de son isolement. Cet Enseignement Secret originel, appelé Kalachakra, ainsi qu’un supplément, tout aussi secret que le document précédent, étaient inclus dans le Kiu-Té et bien connus des Instructeurs de H.P. Blavatsky. Celle-ci eut donc elle-même connaissance de ce contenu.
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  I – Origines du Kâlachakra Dans « La Doctrine secrète », Mme Blavatsky avait elle-même insisté sur l’importance de ce texte, le Kâlachakra, qu’elle définissait comme « le plus important ouvrage dans la division Gyut [rGyud ] du Kanjour, la division de la Connaissance mystique »[1]. Notons le fait remarquable que Mme Blavatsky connaissait parfaitement le livre de Kiu-Té sous son nom le mieux approché phonétiquement et que la corrélation entre le rGyud et le « Kiu-te » était pour elle évidente ; preuve, s’il en était besoin, que le mépris et la négation qui ont entouré son œuvre procèdent d’une totale mauvaise foi et d’une complète ignorance de son contenu. Le Tibétologue David Reigle retrace de manière très suggestive l’histoire de cette division du Kiu-Té. Et cette histoire fait apparaître sous un jour nouveau l’origine des Enseignements révélés par H.P. Blavatsky :
  • Le Bouddha Gautama donna un Enseignement Secret au Roi de Shambhala, Suchandra.
  • Suchandra retourna dans son royaume et rédigea cet Enseignement en 12000 vers qui porta le nom de « Mûla Kâlachakra Tantra ». Il fut donc conservé à Shambhala pendant de nombreux siècles, inconnus du reste du monde.
  • Le Législateur Mänjusrîkîrti[2], le premier d’une lignée de 25 Législateurs[3], fit un résumé (car l’original en 12000 vers était devenu trop difficile à comprendre, même pour les habitants de Shambhala) de cet Enseignement Secret.
  • Législateur Pundarîka, successeur du précédent, écrivit à son sujet un vaste Commentaire appelé Vimalaprabhâ.
  •  Au Xe siècle de notre ère, un Pandit indien voyagea vers Shambhala et ramena en Inde le résumé du Kâlachakra Tantra, composé en 1047 vers, ainsi que son commentaire, le Vimalaprabhâ. Ceux-ci étaient écrits en Sanskrit puisque tel est le langage de Shambhala.
  • Au XIe siècle de notre ère, ces deux documents (Kâlachakra Tantra  et Vimalaprabhâ) furent amenés de l’Inde au Tibet et traduits dans la langue tibétaine. Maintenant ces traductions existent respectivement dans le Kanjour et le Tanjour tandis que des copies des originaux sanskrits ont été préservés au Népal.
  • Au Tibet, du Kâlachakra furent préservés pendant un millier d’années jusqu’à ce que survint la dévastation opérée par la l’invasion chinoise de 1959.
Kala Mandala

Tanka du Kâlachakra Tantra

II – Supplément secret donné au Kâlachakra De nombreuses « interprétations » du Kalachakra furent faites au cours des siècles. Suivons cette élaboration et cette transmission :
  • Un érudit tibétain, Budon (XIIIe siècle de notre ère) et son contemporain Dolpopa, firent respectivement des compilations et des commentaires sur les documents ((Kâlachakra Tantra  et Vimalaprabhâ).
  • Dolpopa fonda une École, appelée « Jonangpa » , liée au Bouddhisme tibétain, qui fut officiellement proscrite au XVIIe siècle  en raison de ses doctrines considérées comme hérétiques au regard du Bouddhisme « exotérique » officiel .
  • Târanâtha, un philosophe lié à cette École Jonangpa du XVIe siècle laissa quelques travaux sur le Kâlachakra qui sont d’une importance particulière car ils nous informent de la nature des « interprétations » du Kâlachakra que possédaient cette École. Nous apprenons ainsi que l’École Jonangpa étudiait  avant tout les Enseignements du Kâlachakra et du Tathâgatagharba. (Tathâgata-gharba = matrice des Tathâgata ; Tathâgata = Dhyani-Bouddha ou Dhyan-Chohan »). Le terme Tathâgata se trouve dans les textes sanskrit bouddhistes, Dhyani Bouddha est un équivalent forgé par les auteurs bouddhistes modernes, et Dhyan-Chohan est un équivalent utilisé dans les écrits théosophiques.
Le Tibétologue, David Reigle précise :
« Il est remarquable  que cet Enseignement (celui du Tâthâgatagarbha) tel qu’il est interprété par eux (les affidés de l’École Jonangpa), est en harmonie avec « La Doctrine secrète », et  constitue également ce en quoi « La Doctrine Secrète » diffère du Bouddhisme orthodoxe ».
Cette dernière remarque est extrêmement importante : en effet, c’est en raison des divergences constatées entre certains axiomes de la Théosophie et ce qui était accessible aux orientalistes, à l’époque de Mme Blavatsky, que le discrédit a été jeté sur l’authenticité de sa Doctrine. Remarquons que Târanâtha affirme qu’immédiatement après leur introduction en Inde – en provenance de Shambhala – le Kiu-Te et ses Commentaires furent transmis secrètement de manière ininterrompue de Maître à Disciple « pendant près de 300 ans ». Ceci confirmerait le caractère profondément occulte des commentaires oraux dont les Instructeurs de Mme Blavatsky font si grand cas tout en soulignant le lien de leur Enseignement avec celui de la secte préservatrice, Jonangpa.
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III – Transmission du supplément secret du Kalachakra au Panchèn Lama et aux Maîtres de Madame Blavatsky

Suivons encore le cheminement de ces textes secrets :
  • Le Grand réformateur du Bouddhisme Tibétain, Tsong-kha-pa (1357-1419) reçut la Tradition du Kâlachakra via les deux instructeurs qui précèdent,( Budon et Dol-po-pa).
  • Kedrupjé, disciple de Tsong-kha-pa, prépara une grande « interprétation » du Kâlachakra en 4 volumes, à côté de  plusieurs ouvrages plus courts sur le sujet. Kedrupje est considéré comme une des premières Incarnations des Panchen Lama.
  • La lignée des Panchèn Lama a donc continué la transmission de cette Tradition du Kâlachakra. Elle en est la protectrice particulière du Kâlachakraet son monastère, Tashi-lhunpo, a été le centre majeur des études sur le Kâlachakra au Tibet. Le Ier Panchèn Lama, (1569-1662) écrivit un commentaire secondaire sur le  Vimalaprabhâ d’après les travaux de Kedrupjé et fonda le Collège tantrique de Tashi Lhunpo.[4]
  • Le IIIe Panchèn Lama fonda le Collège du Kâlachakra à Tashi lhunpo dont le nombre des étudiants est limité à vingt-cinq.
  • Le Rituel du Kâlachakra fut obtenu auprès du Collège du Kâlachakra de Tashi-lhunpo par le VIIIe Dalaï Lama (Jamdpal Gyasto,1758-1805) lorsqu’il le visita qui le transmit à au Collège Nomgyal Dotsaang, une École tantrique privée du Dalaï Lama qui reçoit 16 étudiants adonnés au Kâlachakra.
Toutes ces données nous ramènent, de façon très précise, aux allégations de Mme Blavatsky concernant les Sources de « La Doctrine Secrète ». David Reigle met un terme à sa démonstration en abordant la dernière énigme qui subsiste : l’identification des Stances de Dzyan, fondements de La Doctrine secrète[5]. Cet Universitaire déclare :
«  Depuis l’identification évidente des Livres de Kiu Te (rGyud-sde) comme étant les Tantra bouddhistes tibétains, en 1981, je me suis longtemps douté que le « Livre de Dzyan », duquel les Stances de « La Doctrine Secrète » étaient traduites, pouvaient être le Mûla (Racine) Kâlachakra Tantra perdu.  »
Il énumère cinq raisons qui fondent cette découverte et réhabilitent les allégations de Madame Blavatsky :
  1. Le texte abrégé qui subsiste du Kâlachakra est toujours placé en tête des textes du Kanjour ; pareillement, Madame Blavatsky  situe le « Livre de Dzyan » comme le « Premier des 14 volumes de Commentaires » du Kiu-Té.
  2. La localisation du plus grand centre d’étude du Kâlachakra était le monastère de Tashi lhunpo, adjacent à la résidence des Maîtres de Mme Blavatsky, à Shigatsé (Tibet).
  3. La référence à Shambhala est constante, dans la littérature théosophique, comme source de ses Enseignements ; elle est pareillement la référence du texte du Kâlachakra.
  4. Seul, le Kâlachakra, parmi les livres de Kiu-Té, accorde à la Cosmogenèse et à l’Anthropogenèse une place centrale. C’est également le cas de « Stances de Dzyan » dont « La Doctrine secrète » est un commentaire.
  5. Le terme « Dzyan » est une transcription phonétique tibétaine du sanskrit « Jnâna » qui signifie « la Connaissance-Sagesse ». Or, « Jnâna » est également le titre de la cinquième et dernière section du Kâlâchakra.
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[1] « La Doctrine Secrète », vol. VI, p. 82. [2] Jam-dpal Grags-pa en tibétain. [3] Kalkis en sanskrit et Rigden ou Rigs-ldan en tibétain. [4] Le IIIe Panchèn Lama (1737-1780) écrivit le plus fameux des « Guides vers Shambhala ». Son guide semble être fondé sur celui du Tanjour, (le Kalâpâvatârâ), traduit par Târanâtha à partir d’un original sanskrit maintenant perdu. Le nom de Shambhala a donc toujours été relié à « la Sagesse sans Âge. » [5] (D. Reigle, « Light on the Dzyan : Kalachakra », Symposium on H.P.Blavatsky’s Secret Doctrine, Proceedings Sat. & Sun. Juillet, 21-22, 1984, Wizard Bookshelf, San Diego, California. )

Les années d’aventure et de rencontres

Trente Juillet 1831 du calendrier russe, à Ekaterinoslav, Ukraine. Le choléra faisait rage lorsque naquit Helena Petrovna Hahn, celle qui, plus tard, serait connue sous le nom de « Helena Blavatsky ». Son baptême fut un jour bien peu « orthodoxe »… pour une descendante des Princes Dolgorouki car la flamme d’un cierge se communiqua à l’assistance et le Pope fut sauvé de justesse. Quel était ce présage ? Devenue orpheline de mère, avec un père, capitaine d’artillerie au service du Tsar, Helena fut élevée par sa grand-mère. De 10 à 14 ans, elle s’avéra être un médium exceptionnel : les phénomènes étranges se multipliaient autour d’elle : coups frappés, déplacements d’objets, prévisions de la mort de visiteurs. Sa sœur et sa tante attestèrent plus tard que la jeune fille avait fréquemment la vision d’un Indien qu’elle considérait comme son protecteur. Elle voyait en lui son sauveur, en deux circonstances où ses escapades de garçon manqué avaient mis sa vie en péril. Petite fille du gouverneur d’Astrakan, la jeune Helena découvrit le Bouddhisme des Kalmouks[1]. L’adolescente dévora également les livres du muséum de l’immense datcha familiale de Saratov. La bibliothèque du prince Paul Dolgorouki, son arrière grand-père, la familiarisa avec les sujets occultes.
Helena Adolescente
Helena adolescente
À dix-sept ans, Helena épousa — par bravade envers sa famille — le comte Blavatsky, de vingt deux ans plus âgé qu’elle. Ce fut pour fuir aussitôt son époux, en pleine lune de miel : une malformation génitale interdit à Helena tout rapport sexuel, ainsi qu’en témoigne un rapport médical. Elle quitta cet époux qu’elle repoussait pour se retrouver, âgée de 18 ans, libre de découvrir le monde. D’une nature indomptable, n’ayant peur de rien, montant à cheval comme un cosaque, cette jeune aristocrate russe aux multiples relations, tant dans la noblesse russe que dans certains milieux ésotériques, sortit enfin de toute tutelle, familiale ou maritale. La fugitive débarqua au Caire et y fit la rencontre d’un énigmatique Mage copte, Paulos Metamon, conseiller du Khédive[2]. Elle approcha une mystérieuse « Fraternité Hermétique de Louxor ». Avec ce genre de Loge, liée à la Franc-Maçonnerie Occultiste, sa famille entretenait déjà des liens attestés par d’anciens documents, dont une lettre autographe du Comte de Saint Germain. À l’ombre des pyramides et de temples antiques peuplés de charmeurs de serpents, le Mage copte lui apprit à maîtriser ses étonnants pouvoirs psychiques. La jeune femme fit bientôt une autre rencontre, plus exceptionnelle encore. Ses propres témoignages à ce sujet restent marqués d’ambiguïté car son éternel souci fut, sa vie durant, de voiler, masquer, effacer, toute trace relative à Ceux qui seraient connus plus tard comme les « Mahatmas » et dont elle avait promis de préserver l’identité. De fait, une première rencontre eut lieu à Londres avec le Mahatma Morya en juin 1850 ; elle avait alors 19 ans. Ce fut à l’occasion d’un voyage en Angleterre du Premier Ministre du Népal. Helena reconnut, accompagnant ce dernier et au sein de l’escorte officielle, le Maître. Celui-ci, la voyant dans la foule massée près du cortège et captant la reconnaissance qu’elle eut de sa personne, lui fit signe de rester coite et discrète. Silencieuse mais triste, elle vit le Maître passer. Le lendemain, se promenant à Hyde Park, perdue dans ses pensées, elle eut la surprise et la satisfaction de le revoir. Il l’attendait. Une autre rencontre eut lieu un an après, en août 1851, toujours à Londres. Les archives gardées à Adyar (Madras – Inde) montrent un petit livret de 26 pages, que la jeune fille possédait à l’époque pour dessiner à la plume les paysages de son choix. Sur ce carnet, elle écrivit, au dessous d’un dessin montrant un clair de lune à Ramsgate, qu’elle rencontra le « Maître de ses rêves », celui qu’elle voyait, la nuit, enfant, en Russie. Helena, précisa bien plus tard à Mme Wachtmeister que Ramsgate était un « voile » jetée sur la rencontre car celle-ci eut lieu à Londres. Illustration de la majesté des Princes Rajpoutes, le Mahatma Morya apparaîtra, à de rares témoins proches d’H.P.B. (surnom d’Helena Petrovna Blavatsky formé de la première lettre de son prénom, son nom patronymique et de son nom), comme un homme de très haute taille, d’une beauté et d’un charisme saisissants. Il lui promit que l’Inde secrète et le Tibet interdit lui ouvriraient leurs portes et lui proposa de participer à « son » travail dans le monde. Ce serait après bien des épreuves. La première fut peut-être son épopée révolutionnaire : une nuit de 1860, à Constantinople, H.P.B. avait sauvé un individu poignardé par des « hommes de main » du Vatican. C’était Agardi Métrovitch, célèbre chanteur d’Opéra, membre aussi de la Société secrète des Carbonari, révolutionnaires engagés aux côtés de Garibaldi pour l’indépendance et l’unité de l’Italie. Helena fit cause commune avec son nouvel ami : sa propre recherche des vérités spirituelles et surnaturelles sera toujours liée à l’affranchissement de toute autorité religieuse, limitant l’expression de la Libre pensée. En 1867, à trente-six ans, après qu’elle eut parcouru le monde et venant juste de quitter le Tibet, elle rejoignit l’entourage de Garibaldi et de ses fils, à la veille de l’engagement décisif des « chemises rouges » : l’attaque de Rome… C’était la tragique bataille de Mentana où Helena, fusil en main, combattit les troupes françaises et pontificales — qui écrasèrent les Garibaldiens. Elle tomba. Laissée pour morte, elle survécut à deux balles agrémentées d’un coup de sabre, sauvée in extremis par la Croix-Rouge[3]. Ainsi, de 1858 à 1871, bien des autres aventures se succédèrent au gré de sa quête des Traditions Occultes de tous les continents :
  • Amérique du Nord (Côte Est et Far-West) et du sud (Pérou, d’où elle ramena le plan, jamais exploré depuis lors, de l’entrée présumée du trésor des Incas).
Trésor
Le croquis de l’entrée des souterrains cachant le trésor des Incas dessiné par H.P.B. (Document conservé aux archives de la Sosiété Théosophique à Adyar)
  • l’Inde mythique des cavernes de Bagh[4] et de Karli[5], à travers le Rajpoutana des sages, des Rajahs et des fakirs. Elle visita les mystérieuses tribus de géants et de nains sorciers des Nillgiri Hills[6], ramenant un reportage étonnant, publié plus tard en Russie.
  • Le Proche-Orient lui ouvrit les portes du monde secret des Druzes[7] et des cercles Soufis qui initièrent plus tard Gurdjieff. Elle y découvrit le contenu d’un mystérieux « Livre des Nombres Chaldéen », qu’elle présenterait plus tard, dans son enseignement, comme le manuscrit original de la Kabbale.
Mais, pour l’essentiel, H.P.B. déclara avoir séjourné, pendant cette période, sept années au Tibet, alors terre interdite. Cela, 50 ans avant qu’Alexandra David-Neel n’y posât le pied (celle-ci, d’ailleurs ne souffla mot de sa devancière autrement que pour la présenter comme « un imposteur », lors même qu’elle devint membre, par deux fois, de la « Société théosophique », co-fondée par Helena Blavatsky !…). Un document familial atteste la présence, en 1871, d’H.P.B. à Shigatsé, près du monastère-citadelle de Tashi Lhunpo, cœur du Bouddhisme réformé de la Tradition des « Bonnets Jaunes » (Gelugpa). Elle affirmera également avoir eu accès à la Tradition occulte immémoriale du Raja Yoga, auprès du maître des visions de son enfance, le Mahatma Morya, en différents lieux de l’Himalaya. Ce fut aussi en 1868 qu’elle plaça la rencontre du Mahatma Kout Houmi, un Adepte d’origine cachemirienne, le futur auteur des « Lettres des Mahatmas ». Si la question de l’identité des Instructeurs d’H.P.B. demeure à ce jour teintée de mystère cela tient essentiellement au fait que les « masques » employés par H.P.B. — seule source à leur sujet —, sont des « voiles » accumulés pour en éviter précisément toute identification et protéger la discrétion dont ils s’entouraient. Ces données ne permettent aucun recoupement fiable mais de simples conjectures, dans l’hypothèse, au demeurant très fragile et parfaitement gratuite, qu’il s’agirait de personnalités repérables dans l’histoire indo-tibétaine ou proche orientale. L’identité des Maîtres de Mme Blavatsky demeure donc une énigme, et le restera sans doute, malgré une tentative deM. Paul Johnson (voir « La thèse de Paul Johnson sur l’identification des Maîtres de H.P. Blavatsky ») à la méthode éminemment contestable. D’après le contenu des œuvres de Mme Blavatsky, on peut inférer que l’Enseignement de ses Instructeurs touche aux mystères de l’Origine de l’Homme et du Cosmos, selon les Traditions les plus occultes du Bouddhisme Mahâyâna, ces Tantras secrets que la Tradition présente comme transmis oralement par le Bouddha depuis le « Royaume Spirituel de Shambhala » (Voir Authenticité des Sources de la Doctrine Secrète »). Helena Blavatsky affirma toujours deux choses :
  • que ses Instructeurs, Adeptes de « l’École Arhat[8] Transhimalayenne », lui enseignèrent la véritable Maîtrise Spirituelle de ses propres pouvoirs psychiques ;
  • qu’elle reçut d’eux sa mission : réformer la pensée spirituelle du siècle en révélant certains Enseignements cachés du Bouddhisme, « comme la Loi de la Fraternité himalayenne y oblige un de ses membres en chaque fin de siècle ».

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[1] Les Kalmouks sont installés sur la rive occidentale du cours inférieur de la Volga dans la République autonome de Kalmoukie. Originaires de Mongolie occidentale, ils avaient émigré vers l’Ouest au cours de la première moitié du XVIIe siècle. Une partie des Kalmouks, dans les tourmentes du XXe siècle (Révolution et Guerre civile russes, deux Guerres mondiales), a poursuivi plus à l’Ouest sa migration (Turquie, Tchécoslovaquie, France, Etats unis…). [2] Du turc « khediw » (roi, souverain), ce fût le titre porté par les vice-rois d’Égypte de 1867 à 1914. Ce premier voyage d’HPB en Égypte à lieu en 1848. Paulos Metatron ne conseillera le khédive Ismail Pacha (Isma’il ibn Ibrahim pacha ibn Mohamed ‘Ali pacha) que bien plus tard, durant le règne de ce dernier de 1863 à 1879. [3] Fondée 5 ans plus tôt, en 1863, par Henry Dunant… [4] Grottes aménagées pour le culte bouddhique et décorées dans le style d’Ajanta (Site archéologique de Madhya Pradesh). [5] Ou Karle, Karla — Site archéologique de Maharashtra, entre Bombay et Poona, le plus vaste et le plus bel exemple de sanctuaire bouddhique excavé de type caitya (environ 120 après J.-C.). [6] La plus vieille chaîne montagneuse de l’Inde et la plus haute après l’Himalaya, située au sud du pays. [7] Implantée aujourd’hui essentiellement au sud du Liban, au nord d’Israël et en Syrie sur le Golan, la communauté Druze est un groupe islamique né au Caire des chiites ismaélites dans le premier quart du XIe siècle. La doctrine des Druzes est secrète et comporte divers degrés d’initiation, mais ni liturgie, ni lieux de culte. [8] Du sanscrit « Arahat » (celui qui est digne, celui qui a vaincu l’ennemi). L’Être qui a atteint cet état est arrivée à une telle perfection dans sa pratique qu’il ne dépend plus des illusions de la pensée et des désirs, il s’est libéré du Cycle des renaissances. Arhat est aussi synonyme de Bouddha : « Quand ils eurent vu le Tathâgata assis, les cinq ascètes l’appelèrent par son nom personnel, Gautama, mais le Bouddha leur dit : « N’appelez pas le Tathâgata par son nom personnel, car je suis maintenant Arhat, complètement et parfaitement Eveillé. La puissance surnaturelle du Tathâgata est immense, il est le Vainqueur suprême. Si donc vous appelez le Tathâgata par son nom personnel, pendant très longtemps vous subirez d’intenses douleurs ». (extrait du Vinya des Dharmaguptaka, traduction d’André Bareau, « En suivant Bouddha » – éd. Philippe Lebeau, Paris, 1985, p. 64-65)

L’Initiatrice

Ayant voyagé, sans un sou vaillant, dans l’entrepont des émigrants, H.P.B. s’installa à New York en juillet 1873 ; elle allait avoir quarante deux ans.
En septembre 1874, dans le cercle spirite de Chittenden (Vermont), elle rencontra le Colonel Olcott, son cadet d’un an. Le colonel enquêta sur les stupéfiantes manifestations d’esprits « surgis de l’Au-delà », dans la ferme des célèbres frères médiums Eddy. C’était un juriste, l’un des trois experts chargés par le gouvernement fédéral de l’enquête sur l’assassinat du Président Lincoln. Olcott soumit les esprits « matérialisés » par William Eddy aux épreuves scientifiques les plus rigoureuses : pesées et mesures dynamométriques, analyse chimique de l’haleine des apparitions. Ce n’était plus les vagues ectoplasmes surgissant habituellement autour d’un médium : c’était des individus vivants qui se matérialisaient et « disparaissent » après avoir dansé et parlé avec les témoins médusés… spirites, journalistes, sceptiques ou simples curieux ! Le Dr. Conan Doyle — père de Sherlock Holmes et médecin de formation — étudia avec admiration les procédures d’examen d’Olcott, dans sa monumentale « Histoire du Spiritisme ». Helena Blavatsky et le Colonel Olcott s’engagèrent alors dans un combat commun : explorer l’inconnu et révéler ses mystères. Pour la jeune femme, il s’agissait de convaincre ses contemporains que le psychisme des vivants provoque ces phénomènes, non les « esprits des morts ». À Philadelphie, en 1874, ils participèrent à une enquête qui révéla les fraudes d’un médium célèbre. Le monde spirite, ébranlé, ne reçut pas favorablement le discours hétérodoxe de cette intruse qui niait le fondement de leur croyance : « royaume spirituel » est le même, c’est le « royaume des morts ». C’était cette confusion qu’Helena Blavatsky voulait montrer et expliciter. Son audience dans ce milieu demeura restreinte. Le Colonel vivait en même temps d’étranges expériences, aux côtés d’Helena : il trouvait dans son courrier des messages des Instructeurs égyptiens de la « Fraternité Hermétique de Louxor », lesquels lui donnaient des directives pour assister H.P.B. dans sa mission. Et de fait, celle-ci, en contact avec différents membres de la Confrérie spirituelle des Maîtres, exécutait en leur nom diverses missions.
Lettre Serapis
Fac-similé d’une lettre écrite par le Maître Sérapis et reçue par H. S. Olcott à New York le 11 juin 1875
Helena tombait plusieurs fois par jour dans un état qu’un médecin identifiait deux fois de suite à la mort. Elle expliquait à Olcott que, durant ses crises, elle entraînait son propre esprit à se dégager de son corps pour permettre à la conscience de son Maître de s’y introduire et que ceci — selon elle une méthode traditionnelle utilisée par des Adeptes et des Disciples orientaux — préparait les événements qui vont suivre… De retour à New York, Mme Blavatsky s’installa avec le Colonel Olcott dans un appartement extravagant : les curiosités ramenées de ses voyages en Orient y côtoient des boas empaillés ; une jungle en feuilles séchées orne les murs et un singe en habit de soirée tenait, sous le bras, « l’Évolution des espèces » de Darwin[1]. Les journalistes surnommèrent bientôt « la Lamaserie » cet intérieur « bourgeois » de la 47e Rue, qui devint un salon à la mode. Érudits et curieux défilaient dans ce théâtre de phénomènes étranges… H.P.B. entreprit, en effet, de convaincre son entourage de la réalité des pouvoirs de l’esprit — selon elle : « simples applications des lois naturelles »
Lamaserie
Blavatsky et Olcott dans le salon de la Lamaserie, 47ème rue à New York. (Dessin de H.P.B) Décrivant cette « Lamaserie », un journaliste a écrit : « …directement au centre [de la pièce de réception] était dressé un singe empaillé, avec faux-col blanc et cravate autour du cou, manuscrit dans la patte et lunettes sur le nez… Au-dessus de la porte était la tête naturalisée d’une lionne, avec les mâchoires ouvertes et l’aspect menaçant… Un dieu d’or occupait le centre de la cheminée. Des meubles chinois et japonais, des éventails, des pipes, une batterie de plaids, des divans bas et canapés, un grand bureau, un oiseau mécanique qui chante… Des albums, des dossiers, les inévitables fume-cigarette, des papiers et des cendriers. Le lâche et luxuriant peignoir dont Madame était revêtue semblait en harmonie parfaite avec cet environnement. »
Les témoins racontèrent — et déposèrent devant huissier — qu’elle matérialisait à la demande, à partir de l’espace ambiant, des objets que purent conserver ses visiteurs. On entendait des sons venus de « nulle part ». En septembre 1875, Olcott et quelques amis décidèrent de fonder, autour d’H.P.B., un cercle d’étude de ces phénomènes et de la philosophie occulte : ce fut la « Société théosophique ». (Voir « Formation de la Société Théosophique »). Olcott en était le président et H.P.B. la « secrétaire correspondante ». Un an plus tard, dans le cadre enchanteur d’Ithaca, aux États-unis, Helena Blavatsky était l’invitée d’un ami spirite, le professeur Corson, de la prestigieuse Université Cornell. Ce fut là qu’elle écrivit son premier ouvrage de grand renom. Elle remplissait des pages jour et nuit, dans un état second. En trois semaines, près de sept cents pages manuscrites étaient rédigées… sans qu’aucun livre fût mis à contribution ! Le texte est pourtant rempli de citations savantes à propos de métaphysique, d’histoire et d’occultisme, dont son hôte vérifia l’exactitude à la bibliothèque de l’Université. « Isis dévoilée » sortit des presses en septembre 1877 : 1000 exemplaires vendus en deux jours ! Des célébrités comme Thomas Edison, Camille Flammarion, s’inscrivirent à la Société Théosophique. Un événement vint à point pour rendre célèbres les « Théosophes » : l’un des leurs, le Baron de Palm, décédé subitement, avait exigé d’être incinéré… Ce fut une première aux USA, où le conservatisme religieux se dressait contre le sacrilège ! Les Francs-Maçons, eux, soutinrent le projet. Le Colonel Olcott parvint à concevoir, organiser et à célébrer avec succès la première crémation officielle en Occident. Sa méthode resta longtemps en vigueur. Cherchant à toucher le plus grand nombre plutôt qu’une élite, la Société étendit ses buts : « faire connaître en Occident les philosophies orientales – fonder une fraternité universelle sans distinction de race ou de croyance ». Pour ce faire, les deux fondateurs décidèrent de quitter les États-unis pour l’Inde, terre d’élection pour une telle tentative. Aux Indes, Mme Blavatsky et le Colonel Olcott s’établirent à Bombay, dans un modeste bungalow du quartier indigène. Le gouvernement anglais les soupçonna aussitôt d’intentions politiques subversives. Il exerça une surveillance policière constante et fit pression sur ceux qui les approchèrent.
Helena et Olscott
Helena Petrovna Blavatsky et le Colonel Henry Steel Olcott. Les Fondateurs de la Société Théosophique à Londres en octobre 1888. Dédicace de la photo : « À la Société Théosophique Aryenne[2] de New York – Avec les bons vœux d’H.P.B & d’H.S.O – Londres, Octobre 1888 »
De fait, chargé de développer la Société Théosophique, son Président faisait des conférences où il enthousiasmait les Hindous en les incitant à ne pas abandonner leur antique religion sans raison. Une revue fut fondée : « The Theosophist ». Helena ridiculisait avec brio le clergé chrétien aussi bien que les Brahmanes sectaires qui l’attaquaient. Les Théosophes ne passant pas inaperçus, Alfred Sinnett, rédacteur en chef du Pioneer, l’un des plus influents journaux anglo-indiens, entra en rapport avec Helena Blavatsky… Ce fut donc parmi la gentry et dans le cadre fastueux de l’Inde coloniale, qu’H.P.B. allait réaliser les prodiges stupéfiants qui la rendirent célèbre :
  • à Bénarès, une pluie de roses, soudainement « matérialisées », tomba sur la tête d’un savant auditoire de lettrés indigènes… ainsi que prétendaient le faire autrefois les puissants Yogis dont parlent les textes sacrés.
  • A Simla, joyau des résidences coloniales, au cours d’un pique-nique improvisé en pleine montagne, H.P.B. « matérialisa » — dans des entrelacs de racines, au cœur même d’un talus — une tasse en porcelaine semblable à celles du service qu’on avait emporté ! Le prodige, aussitôt évoqué par la presse, la rendit célèbre dans toute l’Inde ! Ce furent aussi deux broches égarées qui se trouvèrent « matérialisées » dans des conditions totalement imprévisibles et qui ne laissaient place, par conséquent, à aucune explication par une supercherie préparée.
Deux témoins sortirent de ces quelques jours de phénomènes tout à la fois comblés et frustrés : Sinnett et un ami angais, A.O. Hume, futur « père du Congrès national indien », initiateur de l’Indépendance de l’Inde. Ils demandèrent à H.P.B. d’entrer, eux aussi, en contact avec ses Maîtres himalayens. Deux des Instructeurs d’H.P.B. acceptèrent, exceptionnellement, une correspondance où ils enseignèrent une partie de leur étonnante doctrine : le « Bouddhisme ésotérique », jusque là réservé aux Initiés de leurs Écoles secrètes. Et leurs lettres d’Enseignement apparaissent, à leur tour, comme « matérialisées » soudainement dans les endroits où on les attend le moins ! Ces « Lettres des Mahatmas » sont aujourd’hui conservées au British Muséum et des experts attestent aujourd’hui de l’étrangeté de leur procédé d’écriture. Ces lettres firent partie des pièces à charge dans l’enquête qui aboutit, quelques années plus tard à la condamnation de Mme Blavatsky comme imposteur et faussaire, accusation reprise sans cesse par les érudits depuis lors. Beaucoup ignorent qu’en 1986, la « Société psychique de Londres », commanditaire de l’enquête du siècle dernier, publiera, sous la plume du Dr. Vernon Harrison, une remise en question radicale de cette position, réduisant à néant ses conclusions de l’époque. (Voir « Le Rapport Hodgson de 1886 de la Société de Recherches Psychiques (S.P.R.) de Londres et son désaveu, en 1986, par la même Société en la personne de son enquêteur le Dr Verner Harrison »). Le Colonel Olcott, converti au Bouddhisme, entreprit de son côté, avec les dignitaires de Ceylan, une immense réforme de l’Enseignement de cette philosophie — dont un catéchisme, en vigueur aujourd’hui encore, est son œuvre. En 1882, souffrant du climat et de l’âge, Mme Blavatsky, à cinquante et un ans, quitta Bombay pour s’installer dans une belle propriété acquise par la Société Théosophique, pour le prix de la démolition : Adyar, au sud de Madras. Lors de son départ de Bombay, son œuvre fut célébrée par des discours exaltés de l’élite indigène.
Adyar
Le Quartier Général international de la Société Théosophique à Adyar en 1890
Bientôt, pour sauver ce qui lui restait de santé, H.P.B. dut quitter l’Inde pour l’Europe. Olcott l’accompagne. Nice, Paris, Londres… Helena rencontra des sommités de la Science, ouvertes aux phénomènes paranormaux : l’astronome Flammarion et le prix Nobel de médecine Charles Richet, le Dr. Charcot, célèbre pour ses expériences sur l’hypnose. Le Pr. Crookes, découvreur des propriétés radiantes de la matière, du tube émetteur des rayons X (qui porte son nom) et du radiomètre, devint Théosophe et lui fit visiter son laboratoire. Pendant l’absence d’H.P.B., à Madras, un drame se nouait : pour se venger, un couple de domestiques renvoyés pour indélicatesse, les époux Coulomb, remirent aux missionnaires locaux de prétendues « lettres de Mme Blavatsky ». Ces lettres qui apparaissent aujourd’hui, grâce à l’expertise du Dr Vernon Harrison de 1986, comme des faux grossiers, auraient contenu ses instructions pour opérer des phénomènes frauduleux. Le couple prétendit avoir été complice de Mme Blavatsky mais s’en repentir. Les lettres furent publiées par les missionnaires dans le « Christian College Magazine » de Madras. L’accusation fut reprise en écho par toute la presse anglo-indienne, relayée par le Times, à Londres. Invitée de longue date par le colonel Olcott, la « Société de recherche psychique de Londres » (S.P.R.) envoya aux Indes un enquêteur, Richard Hodgson, pour vérifier si les attaques des missionnaires étaient fondées. H.P.B. repartit pour l’Inde afin d’intenter un procès en diffamation. À son arrivée à Madras, une marée humaine s’empara d’elle sur le quai, les étudiants de la ville lui réservant un accueil triomphal ! Mais à Adyar, H.P.B. dut assister, impuissante, à une procédure d’enquête aberrante, sans même obtenir d’être entendue par Hodgson, lequel n’interrogea que ses adversaires. Il reprit l’accusation d’être une espionne russe. H.P.B. était stupéfaite d’être dissuadée de tenter un procès par l’unanimité des siens, Olcott inclus… faute de preuves valables devant une justice « humaine », incompétente donc pour connaître des matières liées à l’Ésotérisme et au « monde paranormal » ! Écœurée, elle démissionna de son poste de secrétaire de la Société et repartit pour l’Europe sur un brancard. Ce fut en Allemagne, à Würtzburg, qu’Helena Blavatsky apprit la dernière accusation portée contre elle : dans ses lettres, elle aurait avoué être une créature immorale, à la vie dissolue, ayant abandonné trois enfants illégitimes. Finalement, une analyse graphologique menée en dépit du bon sens et délibérément tronquée fit croire à la Société Psychique de Londres que les fausses lettres d’aveux étaient authentiques (sur ce point, comme sur celui des « Lettres des Mahatmas », le docteur Vernon Harrison désavoua aujourd’hui totalement l’enquête d’Hodgson, au nom de la S.P.R.). Mme Blavatsky commença alors à rédiger son testament philosophique : malgré ses souffrances physiques et morales, un travail d’écriture harassant la tint à son bureau du matin au soir ; c’était l’écriture de « La Doctrine secrète », livre « voulu par ses Maîtres — dit-elle  — pour jeter les bases d’une Connaissance et d’une évolution spirituelle nouvelles ». Une fois de plus, les citations d’ouvrages rares et inaccessibles envahirent ses manuscrits. Or, il n’y avait aucune bibliothèque dans sa chambre de Würzburg, où elle demeura en compagnie de la Comtesse Wachtmeister, témoin quotidien du prodige que constituait l’écriture de « La Doctrine secrète ». (Voir « La Doctrine Secrète et Madame Blavatsky » de C. Wachtmeister – Ed. Adyar). C’est alors qu’Helena Blavatsky reçut le verdict final de la « Société d’études psychiques de Londres », pour qui elle a « conquis le droit à une perpétuelle mémoire en tant que l’un des plus intéressants imposteurs de l’Histoire ». Elle est également présentée comme une espionne russe dont la mission est « de fomenter et d’entretenir aussi largement que possible parmi les Indigènes une désaffection envers l’autorité Britannique ». H.P.B. crut son œuvre à jamais discréditée mais elle fut vite détrompée par des amis fidèles qui l’appelèrent à Londres pour travailler à l’édition de son livre, à la fondation d’une revue, à la création d’un Cercle d’études privé, tout cela en recevant, du matin au soir, des célébrités venues parler métaphysique avec elle. En 1888, le premier exemplaire de « La Doctrine secrète » sortit des presses. Deux ans plus tard, un jeune avocat indien, totalement anglicisé, frappa à la porte de Mme Blavatsky : il se nommait Mohandas Gandhi et se déclarait honteux de n’avoir jamais lu la Bhagavad Gîta
Ghandi
Le jeune Mohandas Gandhi en compagnie de membres de la Société Théosophique au sein du comité exécutif de la London Vegetarian Society en 1890 photo © gandhiserve.org
Il déclara à son premier biographe, Fischer, que sa rencontre avec les Théosophes éveilla en lui sa mission de libérateur de l’Inde.

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[1] Victor Hugo, contemporain enthousiaste des progrès scientifiques de son époque, combattit pourtant avec vigueur le matérialisme ambiant, l’évolutionnisme en vogue au XIXe siècle ainsi que le darwinisme, consacrant à ce dernier ces quelques vers :

« Et quand un grave anglais, correct, bien mis, beau linge, Me dit : Dieu t’a fait homme et moi je te fais singe, Rends-toi digne à présent d’une telle faveur, Cette promotion me rend un peu rêveur… »

[ La légende des Siècles, VIII ; France et Âme, Édition « Bouquins », p.497.]

Cette satire, en dépit des protestations humanistes et déistes de Darwin — ou de ses partisans — ne retient que ce raccourci légendaire sur la nature de l’Être et son Origine… [2] Le mot arya, dans le Véda, se rapportait à une qualité morale ou intérieure, et non pas à une race ou un peuple. Le terme Aryens précise donc ici la filiation philosophique et spirituelle de la Société Théosophique de New York. L’emploi de cet adjectif n’à ici aucun rapport avec les thèses et définitions dévoyées et racistes des nazis qui opposaient un soi-disant « esprit supérieur aryen » au sémitisme.