« Ignores-tu, ô Asclépios, que l’Égypte est l’image du ciel et qu’elle est la projection ici-bas de toute l’ordonnance des choses célestes ? Cependant, il faut que tu saches : un temps viendra où il semblera que les Égyptiens ont en vain observé le culte des dieux avec tant de piété et que toutes leurs saintes invocations ont été stériles et inexaucées. La divinité, quittera la terre et remontera au ciel, abandonnant l’Égypte, son antique séjour, et la laissant veuve de religion, privée de la présence des dieux… Alors cette terre sanctifée par tant de chapelles et de temples sera couverte de tombeaux et de morts. Ô Égypte, Égypte ! Il ne restera de ta religion que de vagues récits que la postérité ne croira plus et des mot gravés sur la pierre et racontant ta piété. »
Hermès Trismégiste, trad. de L. Ménard, P. 147
En donnant sa Leçon, le Prêtre ne parla pas une seule fois, pas plus que les élèves, habitués à garder longuement le silence. Et de fait, quand, en Égypte, il s’agissait d’aborder des Sujets Saints, on s’abstenait d’émettre un flux de paroles afin de favoriser la Compréhension « à partir du Centre ». On considérait l’intellect comme un instrument utile à l’organisation de ce monde dense dans lequel on vivait mais, s’agissant de l’Univers et de l’Être, les symboles, les couleurs, une gestuelle représentative, s’avéraient être plus efficaces pour conduire l’élève au « Centre » que tout long discours. De plus, des Rites Magiques préparaient toute leçon, créant dans les lieux la fréquence vibratoire propice à ce positionnement central de la Conscience. « Les choses du Ciel restent au Ciel » disait l’Instructeur de ce temps-là, « à la Terre d’aller vers elles… » Pythagore voulut ramener en Grèce l’Esprit et l’Âme de l’Égypte mais il enseignait à des Grecs — habitués à raisonner « à partir de la périphérie »… — et non pas à des Égyptiens… Il put donc y diffuser l’Essence de ce que lui-même avait appris mais, de l’Esprit et de l’Âme, il ne put, en véritable « Égyptien » qu’il était, en parler (voir encadré). Il enseigna ce que les Grecs eux-mêmes pouvaient comprendre selon leur mode d’appréhension mentale et puisque ceux-ci apprirent par la suite à l’Occident à penser, c’est ce type d’investigation, effectuée à partir de la Circonférence, qui devint aussi le nôtre. Ne pouvant donc éviter ce dernier, nous allons exposer brièvement certaines données sur la Loi des Nombres, présentant intellectuellement des symboles mais ne faisant que les présenter. Afin d’éclairer notre texte, nous vous proposons un extrait de l’introduction au « Livre des Morts des Anciens Égyptiens » traduit et commenté par Grégoire Kolpaktchy aux Éditions Stock. Nous ne pouvons que vous conseiller de lire cet ouvrage (dans la traduction de Grégoire Kolpaktchy).L’égyptologie officielle n’aime guère qu’on lui parle du caractère « énigmatique » de la culture égyptienne. Elle hausse les épaules. « Énigmes ? Quelles énigmes ? » Or, tandis que l’ancien Grec était, de par sa nature, avide de savoir et curieux de posséder le secret des choses, l’Égyptien se plaisait à contempler les énigmes à l’état initial, à visualiser leur totalité stimulante ; il lui répugnait à les disséquer (on ne dissèque que des cadavres), à les creuser, à les fouiller, à étaler en formules abstraites le secret inviolable de l’Être. L’Égyptien aspirait à la totalité. Et il voyait grand. Lequel des deux peuples, des Égyptiens ou des Grecs, avait raison ? L’impasse dans laquelle l’humanité civilisée se débat aujourd’hui n’est-elle pas l’héritage du rationalisme grec dégagé progressivement de la mystique égyptienne et retouché par la médiocrité latine ? N’eût-il pas mieux valu s’arrêter à mi-chemin, comme les Égyptiens ? Car avoir constaté l’existence de l’énigme était déjà beaucoup… L’énigmatique attirait l’Égyptien comme la beauté fascinait le Grec ; et de même que celui-ci recherchait partout (harmonie, la symétrie, l’équilibre, les proportions justes et les rythmes, de même celui-là se délectait de l’incompréhensible, de l’inconcevable, du contradictoire et de l’irrationnel. L’ancien Égyptien, en effet, possédait des antennes pour le fond IRRATIONNEL de l’existence ; pour cette vie terrestre qui est une mort échelonnée ; pour cette mort qui, à ses yeux, possédait tous les attributs d’une vraie vie ; pour cet Être absolu de l’ontologie (« TUM ») identifié par lui avec le Néant ; pour cette attraction (sympathie) universelle qui est « l’autre visage » de la répulsion et de la haine ; pour cette lutte, enfin, lutte implacable, sévissant sur tous les plans de l’existence et dans tous les coins de l’Univers, et qui ne fait qu’obéir, en réalité, à un plan sereinement établi, harmonieux, plein d’une calme et profonde sagesse… Toute la dialectique d’Héraclite et — deux millénaires plus tard — celle d’Hegel, voilà le substrat et l’axe de cristallisation de la Weltanschauung[1] égyptienne ; et c’est, pour nous, l’élément le plus précieux de son apport spirituel. Fidèle à ce principe de contradiction, base de son ontologie, l’Égyptien traite avec dédain la raison humaine et élève l’homme, cet être « raisonnable » entre tous (rekhit), au niveau des dieux ; il adore l’éternité immuable incarnée dans ses « dieux anciens », et place à la tête de son panthéon un dieu mort… Cette vision du monde ne fut jamais exprimée par les Égyptiens en concepts abstraits (l’abstraction n’étant pas de leur ressort) ; mais elle est toujours là, sous la forme d’une ambiance mystérieuse et énigmatique. La valeur éducative de l’irrationalisme égyptien est grande ; celui-ci forme un contrepoids à la platitude rationaliste que notre époque nous impose. Voilà pourquoi l’homme d’aujourd’hui se sent obscurément attiré vers l’ancienne Égypte, terre classique des mystères, et vers cette dialectique, propre au tempérament de ce peuple et qui évolue avec virtuosité au milieu d’un cliquetis des antinomies existentielles. L’originalité et l’étrangeté de la vision égyptienne du monde nous font paraître comme fade et inexpressif le « miracle grec » dont nous sommes les héritiers directs. La démesure égyptienne écrase la mesure grecque ; elle le fait sans une ombre d’effort, — par la présence presque tangible et palpable de l’Au-delà. II n’est pas postulé, cet Au-delà ; il n’est pas montré, démontré, proclamé : il est tout simplement là, présent devant nous, silencieux, immobile et grandiose. La vision hindoue est plus articulée ; elle pénètre plus profondément dans la structure du monde caché ; et la cabbale chinoise nous fait entrevoir avec plus de finesse toute la complexité de son agencement ; mais aucune civilisation du passé n’a jamais révélé le grandiose effet global de l’énigme existentielle, comme l’a fait la pensée égyptienne d’autrefois. Quel est donc l’instrument qui a produit ce « miracle » égyptien ? C’est la mainmise de l’élite égyptienne sur le mystère de la mort, une mainmise absolue, tyrannique et exclusive. Qu’on s’imagine, en outre, un peuple dur, sourd, obstiné ; un peuple qui ne voit rien, ne veut rien voir, si ce n’est ce mystère fascinant, hallucinant… C’est ainsi, par la démesure, que le destin forge des miracles… |
[1] (Note ajoutée par nous) Le terme germanique « Weltanschauung » signifie conception du monde, description des fins en soi, image du monde projetée par notre esprit. Une « Weltanschauung » est donc par définition subjective et arbitraire et la prétention à une « Weltanschauung » scientifique ou rationnelle est absurde.
L’intégralité du texte contenu dans ces pages et intitulé « La Leçon de l’Égyptien » est extrait de l’ouvrage d’Alexandre Moryason « La Lumière sur le Royaume ou Pratique de la Magie Sacrée au quotidien », Chapitre II, pages 62 à 79. Cet extrait (texte et notes) est protégé par copyright — tout comme l’ensemble de ce site.